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12 août 2013 1 12 /08 /août /2013 16:44

(…) Il est entendu qu’un jour par semaine un homme a le droit d’attaquer les mœurs de son siècle et de dire à ceux qui l’écoutent qu'ils attirent sur eux la colère de Dieu. On finit par trouver ce langage très naturel dans sa bouche ; si tout autre s’avisait de le tenir, on s’en offenserai, mais il est convenu que la chaire supporte tout… Eugène Bersier, Sermons choisis p.95

 

EUGENE BERSIER

SERMONS CHOISIS

EXTRAITS

 

Un prédicateur de cour

« Il ne t’est pas permis d’avoir la femme de ton frère » Matthieu 14, 4

 

 (…) Voici un misérable qu’on emmène en prison… La foule regarde. – C’est un voleur ! dit-on. Les honnêtes gens veulent voir l’expression d’un voleur… C’est pour eux un spectacle curieux que celui d’un des représentants de ces classes perdues avec lesquelles tout contact est désormais impossible… Voyez sur les figures l’étonnement, le mépris, la colère… presque jamais la pitié.

Maintenant , à l’autre extrémité de l’échelle sociale, voici  une fortune immense qui s’élève comme par enchantement. Il circule, il est vrai, sur son origine, d’étranges rumeurs. Il y a eu dans les causes qui l’ont produite des moyens que réprouve toute conscience honnête. Ce n’est qu’à force d’habileté que ces procédés-là échappent aux cas prévus par le Code, mais la mauvaise foi, la tromperie ont été manifestes… Que dira-t-on, cependant, mes frères ? Entendrez-vous une protestation énergique sortir des consciences ? Non, et voilà ce qui m’épouvante le plus. On parlera beaucoup, on criera un moment au scandale, puis tout s’apaisera comme par enchantement, et vous verrez la foule, s’inclinant devant la fortune, accourir aux fêtes somptueuses qu’elle donnera… Que si même de ces tables richement servies, il tombe quelques miettes pour des œuvres de piété, vous verrez des hommes religieux garder le silence et nous conseiller de le garder nous-mêmes !

Devant Dieu, pourtant, lequel fut le plus coupable, le malheureux auquel tout a manqué, lumière, instruction, influence morale et religieuse, et qui, pressé par la misère, a, dans une heure mauvaise, cédé à la tentation… ou l’homme qui avait tout, nobles exemples, éducation, vie aisée, abondance même, et qui  n’échappe à la flétrissure qu’à force de dextérité ?

Ai-je donc tort d’affirmer qu’il y a des positions qui étourdissent, qui enivrent, et où l’on devient inaccessible à la vérité ?... Le monde crie beaucoup aux pharisaïsmes des croyants, mais quoi de plus pharisaïques que les jugements du monde ?... On accable le vice vulgaire, grossier… On pardonne tout à l’habileté qui sait sauver les apparences, on est genoux devant qui réussit…

 

Pages 99 à 101

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31 juillet 2013 3 31 /07 /juillet /2013 17:09

(…) Il est entendu qu’un jour par semaine un homme a le droit d’attaquer les mœurs de son siècle et de dire à ceux qui l’écoutent qu'ils attirent sur eux la colère de Dieu. On finit par trouver ce langage très naturel dans sa bouche ; si tout autre s’avisait de le tenir, on s’en offenserai, mais il est convenu que la chaire supporte tout… Eugène Bersier, Sermons choisis p.95

 

 

 

MASSILLON

SERMONS

EXTRAITS

 

Sur les tentations des grands


Matthieu 4, 1 : Jésus fut conduit par l’esprit dans le désert pour y être tenté par la Diable

Sire,

 

Le premier écueil de notre innocence, c’est le plaisir. Les autres passions, plus tardives, ne se développent et ne mûrissent, pour ainsi dire, qu’avec la raison : celle-ci la prévient, et nous nous trouvons corrompus avant presque d’avoir pu connaître ce que nous sommes : ce penchant infortuné, qui souille tout le cours de la vie des hommes, prend toujours sa source dans les premières mœurs ; c’est le premier trait empoisonné qui blesse l’âme ; c’est lui qui efface sa première beauté, et c’est de lui que coulent ensuite tous ses autres vices.

Mais ce premier écueil de la vie humaine devient comme l’écueil privilégié de la vie des grands. Dans les autres hommes, cette passion déplorable n’exerce jamais qu’à demi son empire ; les obstacles la traversent, la crainte des discours publics la retient, l’amour de la fortune la partage.

Dans les princes et les grands, où elle en trouve point d’obstacles, ou les obstacles eux-mêmes, facilement écartés, l’enflamment et l’irritent. Hélas ! quels obstacles à jamais trouvés là-dessus la volonté de ceux qui tiennent en leurs mains la fortune publique ? Les occasions préviennent presque leurs désirs ; leurs regards, si j’ose parler ainsi, trouvent partout  des crimes qui les attendent ; l’indécence du siècle et l’avilissement des cours honorent même d’éloges publics les attraits qui réussissent à les séduire ; on rend des hommages indignes à l’effronterie la plus honteuse ; un bonheur si honteux est regardé avec envie, au lieu de l’être avec exécration, et l’adulation publique couvre l’infamie du crime public. Non, Sire, les princes, dès qu’ils se livrent au vice, ne connaissent plus d’autres freins que leur volonté, et leurs passions ne trouvent pas plus de résistance que leurs ordres.

David veut jouir de son crime : l’élite de son armée est bientôt sacrifiée ; et par là périt le seul témoin incommode à son incontinence. Rien ne coûte et rien ne s’oppose aux passions des grands : ainsi la félicité des passions en devient un nouvel attrait ; devant eux toutes les voies du crime s’aplanissent, et tout ce qui plaît est bientôt possible.

La crainte du public est un autre frein pour la licence du commun des hommes. Quelque corrompues que soient nos mœurs, le vice n’a pas encore perdu parmi nous toute sa honte : il reste encore une sorte de pudeur publique qui nous force à le cacher ; et le monde lui-même, qui semble s’en faire honneur, lui attache pourtant encore une espèce de flétrissure et d’opprobre ; il favorise les passions, et il impose pourtant des bienséances qui les gênent ; il fait les leçons publiques du vice et de la volupté, et il exige pourtant le secret et une sorte de ménagement de ceux qui s’y livrent.

Mais quand les princes et les grands ont secoué ce joug, il ne font pas assez de cas des hommes pour redouter leurs censures ; les hommages publics qu’on leur rend les rassurent sur le mépris secret qu’on a pour eux ; ils ne craignent pas un public qui les craint et qui les respecte ; et, à la honte du siècle, ils se flattent avec raison qu’on pour leurs passions les mêmes égards que pour leur personne. La distance qu’il y a d’eux au peuple leur montre dans un point de vue si éloigné, qu’ils le regardent comme s’il n’était pas ; ils méprisent des traits partis de si loin, et qui ne sauraient venir jusqu’à eux ; et presque toujours devenus les seuls objets de la censure publique ils sont les seuls qui l’ignorent. 

Ainsi, plus on est grand, Sire, plus on est redevable au public. L’élévation, qui blesse déjà l’orgueil de ceux qui nous sont soumis, les rend des censeurs plus sévères et plus éclairés que nos vices ; ils semblent qu’ils veulent regagner par les censures ce qu’ils perdent par la soumission ; ils se vengent de la servitude par la liberté des discours. Non, Sire, les grands se croient tout permis, et on ne pardonne rien aux grands ; ils vivent comme s’ils n’avaient point de spectateurs, et cependant ils sont tout seuls comme le spectacle éternel  du reste de la terre.

Enfin l’ambition et l’amour de la fortune dans les autres hommes partage l’amour du plaisir ; les soins qu’elle exige sont autant de moments dérobés à la volupté ; le désir de parvenir suspend du moins des passions qui, de tout temps, en ont été l’obstacle ; on ne saurait allier les mouvements sages et mesures de l’ambition avec le loisir, l’oisiveté, et presque toujours le dérangement et les extravagances du vice ; en un mot, la débauche  a toujours été l’écueil inévitable de l’élévation ; et jusques ici, les plaisirs ont arrêté bien des espérances de fortune, et l’ont rarement avancée.

Mais les princes et les grands qui n’ont plus rien à désirer du côté de la fortune, n’y trouvent rien aussi qui gêne leurs plaisirs ; la naissance leur a tout donné ; ils n’ont plus qu’à jouir, pour ainsi dire, d’eux-mêmes ; leurs ancêtres ont travaillé pour eux ; le plaisir devient l’unique soin qui les occupe ; ils se reposent de leur élévation sur leurs titres ; tout le reste est pour les passions.

Ainsi les enfants des hommes illustres sont d’ordinaire les successeurs du rang et des honneurs de leurs pères, et ne le sont pas de leur gloire et de leurs vertus ; l’élévation dont la naissance les met en possession, les empêche toute seule de s’en rendre dignes ; héritiers d’un grand nom, il leur paraît inutile de s’en faire un eux-mêmes ; ils goûtent les fruits d’une gloire dont ils n’ont pas goûté l’amertume ; le sang et les travaux de leurs ancêtres deviennent le titre de leur mollesse et de leur oisiveté ; la nature a tout fait pour eux, elle ne laisse plus rien a faire au mérite ; et souvent l’époque glorieuse de l’élévation d’une race devient, un moment après, elle-même, sous un indigne héritier, le signal de la décadence et de son opprobre ; les exemples là-dessus sont de toutes les nations et de tous les siècles.

Salamon avait porté la gloire de son nom jusqu’aux extrémités de la terre ;  l’éclat et la magnificence de son règne avait surpassé celle de tous les rois d’Orient ; un fils insensé devient le jouet de ses propres sujets, et voit dix tribus se choisir un nouveau maître. Les enfants de la gloire et de la magnificence sont rarement les enfants de la sagesse et de la vertu ; et il presque plus rare de soutenir la gloire et les honneurs auxquels on succède, que de les acquérir soi-même.

 

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