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29 octobre 2013 2 29 /10 /octobre /2013 10:45

JEAN CALVIN

 

Emile Doumergue

Extrait (pages 69 à 72)

« Quatre traits caractérisent pour nous l’esprit de ce célèbre collège de Montaigu, qui incarnait lui-même l’esprit de tout l’enseignement, aux premières années du XVIE siècle.

         D’abord l’ascétisme.

L’article troisième du règlement ordonnait le silence, « depuis la fin des complies, jusques au son de la messe du lendemain. »

Le quatrième réglait le costume. Les théologiens, prêtres et étudiants en philosophie, devaient être vêtus de noir, avec des manteaux sans plis, « et des chaperons en teste à la façon d’un camail sinon qu’ils sont cousus devant et derrière, et n’y a ouverture sinon pour passer la teste, ainsi que les portent les frères convers de Saint-Germain des Prez. »

Plus important encore est l’article relatif à la nourriture : « il est défendu de boire vin et de manger chair, excepté les théologiens et prestres d’avoir une pinte de vin à trois, composée de trois demi-sextier et d’un demi-sextier d’eau, en considération de leur âge viril et de leur labeur aux études. Pour la pitance, ils auront tous à l’entrée de table chascun la trentiesme partie d’une livre de beurre, des pommes cuites, des pruneaux ou quelque chose d’équivalent. Plus le potage de légumes (qui sont poix, febves, et autres semblables grains issus de terre), ou de bonnes herbes. Pour la portion des jeunes capettes auront chascun la moitié d’un harenc ou un œuf. Les théologiens et prestres auront deux fois autant, c’est scavoir deux œufs chascun, on un harenc ; pour le dessert, un morceau de fourmage ou quelques fruits, si la saison et les moyens y sont. »

Evidemment, le principal qui a rédigé ce prospectus avait du sang d’Harpagon dans les veines. Mais il n’était pas le seul, dans le bon vieux temps, et nous avons les plaintes d’un écolier du XVIIe siècle, qui disait encore : « j’estois gros et gras quand le malheur voulut me constituer prisonnier de ces ennemis de la nature ; mais a peine y eus-je demeuré trois jours, qu’il fallut envoyer mes chausses et mon pourpoint au tailleur pour les estressir. »

Et cependant, les pauvres capettes de Montaigu, avaient beau habituellement ne pas manger, ils avaient encore des jours dits de jeûne.

La maigre pitance était compensée par d’abondantes fouettées : c’est le second trait caractéristique de l’éducation de cette époque en général, et de Montaigu en particulier.

Le fouet était le grand instrument d’éducation, sinon l’unique. On fouettait tout  le monde, toujours. Marguerite de Valois avait été fortement fouettée. D’Aubigné avait été fouetté. En 1544, un recteur de l’Université recommandait encore aux maîtres de ne pas ménager les verges à leurs élèves et même de les rouer de coups. »(…) Le portier était le fouetteur en titre. Mais le principal ne dédaignait pas souvent d’y mettre la main. Rabelais nous a conservé précisément le souvenir du principal Tempeste, un des successeurs de Satandouth, « le grand fouetteur d’écoliers au collège de Montaigu. » Et Montaigne s’écrie : « Au lieu de convier les enfants aux lettres, on ne leur présente à la vérité que horreur et cruauté ; ostez-moi la violence et la force… cette police de la plupart de nos collègues m’a tousjours depleu… C’est une vraye geaule de jeunesse captive… Arrivez-y sur le poinct de leur office : vous n’oyez que cris, et d’enfants suppliciez, et de maistres enyvrez en leur cholère… les guidant d’une trongne effroyable, les mains armées de fouets. »

Comme la réputation de Montaigu l’’emportait sur toutes les autres, il n’est pas étonnant que ce collège ait fini par apparaître comme l’idéal de la maison de… correction : « Tellement, raconte encore un historien du XVIIe siècle, que quand il y avoit quelque père ou mère à Paris molestez et attediez de leurs enfants mal vivans et incorrigibles, on leur conseilloit de les enfermer à Montaigu afin de les ployer, adoucir dessous la verge d’humilité, et de les réduire à la voie de vertu, de laquelle ils estoient esloignez par mauvaise compagnie et trop grande liberté. » 

Troisième trait : une saleté indicible. Bornons-nous  à constater que d’une manière générale les collèges interdisaient à leurs élèves de porter les mains à leur tête pendant le repas. C’était trop dangereux. Et laissons parler deux capettes illustres de Montaigu, Erasme et Rabelais.

D’où viens-tu, demande un interlocuteur des colloques d’Erasme ? – Du collège de Montaigu. – Tu nous reviens donc chargé de littérature ? – Bien plutôt de poux.

Rabelais, lui, nous dépeint son héros arrivant chez son père,  après quelques-unes de ses aventures extraordinaires, et se mettant en train de se coiffer. Il prend son peigne « qui estoit grand de cent cannes, appoincté de grandes dents de éléphants toutes entières ». A chaque coup il faisait tomber d’énormes boulets , qui lui étaient restés dans les cheveux. « Ce que voyant, Grangousier son père, pensoit que feussent poulx et luy dit : Dea, mon bon filz, nous as-tu apporté jusques icy des esparviers de Montagu ? Je n’entendoys que là tu feisses résidence. – Adonc Pornocrate respondit : Seigneur, ne pensez pas que je l’aye mis au colliège de pouillerie qu’on nomme Montagu : mieulx l’eusse voulu mettre entre les Guenaux de sainct Innocent, pour l’énorme cruauté et vilenie que j’y ay congnue. Car trop mieulx sont traictés les forcez (forçats) entre les Maures et Tartares, les meurtriers en la prison criminelle, voir certes les chiens en vostre maison, que ne sont ces malautruz au dict colliège.
Et si j’estoys roy de Paris ; l e diable m’emport si je ne mettoys le feu dedans, et faysoys brusler et principal et régents, qui endurent cette inhumanité davant leurs yeulx estre exercée. »

Enfin, quatrième trait : le travail, un travail aussi exagéré que la saleté, la barbarie, la famine. On se demande où les élèves prenaient les forces. En tout  cas, le programme que voici va nous montrer qu’ils avaient besoin d’en avoir beaucoup.

A 4 heures du matin, lever. Un élève de philosophie, chargé des fonctions d’éveilleur, parcourait les chambres, et en hiver y allumait les chandelles.

De 5 à 6 heures, leçon.

A 6 heures, messe. Puis, premier repas, composé d’un petit pain.

De 7 à 8 heures, récréation.

De 8 à 10 heures, leçon.

De 10 à 11 heures, discussion et argumentation.

A 11 heures, dîner, accompagné d’une lecture de la Bible, ou de la Vie des saints. Le chapelain disait le Bénédicité et les Grâces, auxquelles il ajoutait une exhortation pieuse. Le principal prenait ensuite la parole , adressait des éloges ou des blâmes aux élèves, annonçait les punitions, les corrections méritées la veille.

De midi à 2 heures, révision des leçons, travaux divers.

De 2 à 3 heures, récréation.

De 3 à 5 heures, leçon.

De 5 à 6 heures, discussion et argumentation.

A 6 heures, souper.

A 6 heures et demie, examen du travail de la journée.

A 8 heures en hivers et à 9 heures en été, coucher.

 

Ainsi condamné au jeûne et au travail forcé, plus d’un capette succombait.

Erasme réunit tous ces traits dans le tableau suivant : « J’ai vécu il y a trente ans, dans un collège de Paris où l’on brassait tant de théologie que les murailles en étaient imprégnées ; mais j’en ai pas rapporté autre chose que des humeurs froides et une multitude de poux… Les lits étaient si durs, la nourriture si chétive, les veilles et les études si pénibles, que maints jeunes gens de grande espérance, dès la première année de leur séjour dans ce collège, devenaient fous, aveugles ou lépreux, quand ils ne mourraient pas… Plusieurs chambres à coucher, étant situées près des lieux d’aisance, étaient si sales et si infectes qu’aucun de ceux qui y ont demeuré n’en est sorti vivant, ou sans le germe d’une grave maladie. Les punitions, consistant en coups de fouet, étaient administrées avec toute la rigueur qu’on peut attendre de la main du bourreau… Le principal du collège voulait faire des moines de nous tous, et, pour nous apprendre à jeûner, il nous privait absolument de viande. O combien d’œufs pourris j’ai mangé là ! que de vin moisi j’y ai bu. »

Sorte de capuche, pièce de vêtement jouant l e rôle d’une coiffure couvrant la tête (teste) et les épaules de celui qui les porte (Wikipédia)

Sorte de pèlerine sans capuche (Wikipédia))

Frère laïque, religieux de plein droit sans être un moine, principalement destiné dans l es ordres monastiques à l’exploitation de domaines ruraux :   les « granges » (domaines agricoles) et les « celliers » (domaines viticoles) http://jlconvers.free.fr/histoire_c/@Histoire_c10.htm

Selon les régions entre 0, 4 et 0,5 litre

Jeune élève boursier

Tarsot p. 117

Franklin La vie privée d’autrefois. Ecoles et collèges, 1892, p. 139

Essais de Montaignelivrfe 1 chaptire 25

En 1522, dans son traité De Conscribendis litteris, Erasme, parlant des Béda et des Quercu, qui enseignaient à Montaigu au moment même où s’y trouvait Calvin , écrit : « Ce roussin d’Arcadie, vêtu de la peau du lion, trop ignare pour se faire écouter avec plaisir de ses disciples, trop grossier pour aimer ou être aimé, bourelle les malheureux qu’il ne saurait rendre lettré, puisqu’il est lui-même sans lettres. Il les assourdit de cris et d’insultes…. Si tu ne peux te passer de faire le maître, va épouvanter de ta grosse voix les bœufs et les ânes. »

Tarsot p. 113

Tarsot p. 114

Œuvres de Rabelaisl Livre 1 chapitre 37

 

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