Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
8 septembre 2013 7 08 /09 /septembre /2013 16:32

NARBONNE DIMANCHE 8 SEPTEMBRE 2013

                     PROVERBES 4, 1 – 9

                     LUC 14, 1 - 14

 

Introduction : ce matin, dans la première partie de notre lecture de Luc, un détail a attiré mon attention et finalement requis toutes mes réflexions : « il y avait un hydropique »… Cela m’a fait remonter au cœur la première phrase entendue lors de mon premier cours de philosophie. C’était il y a longtemps …. Le professeur se lève, s’assoit sur un coin de son bureau, lance un lent regard circulaire vers la classe et dit : « tous les français sont des resquilleurs »… silence médusé dans les rangs… et elle ajoute : « c’est un préjugé ». En matière de préjugés, nous arrivons dans le texte biblique avec tout ce que nous sommes, tout ce que nous avons entendu, tout ce que nous avons lu, tout ce que nous avons appris, tout ce que nous croyons savoir, indécrottables convictions en nous, et non sujettes à remises en question. C’est pourquoi, aujourd’hui, après avoir dans un premier temps parlé des pharisiens et des repas, nous tenterons, avec cet exemple, dans un deuxième temps, une approche d’analyse de nos préjugés face à lecture des Ecritures et cela nous fera, peut-être, glisser plus avant dans nos vies .

 

1) contexte. Commençons par le contexte social dans lequel baigne l’invitation que Jésus a acceptée.

D’abord, les pharisiens. « Hypocrites, menteurs, race de vipères »… Luc dans un chapitre précédent met dans la bouche de Jésus une condamnation plus que sévère de ce groupe fondé, probablement, à l’époque d’Esdras  et de Néhémie. Au fil du temps et des évènements, ils sont devenus les dirigeants laïques du peuple juif. Vivre conformément à la tradition orale qui s’est élaborée, peu à peu, discussion après discussion, chez les rabbins, est une obsession pour eux. 613 commandements à respecter : 248 positifs et 365 négatifs et toutes les règles rabbiniques qui vont avec ! Une galère pour le petit peuple… mais pas pour eux, dont la vie est réglée et ritualisée, à tout moment, selon ces interprétations rabbiniques, et les repas n’y échappent pas. Contrairement aux Sadducéens qui sont hyper pointilleux sur la Parole écrite, la Torah, les Pharisiens, eux, sont en permanence, dans une espèce de « mise à jour » qui accumule, discussion après discussion, interrogation après interrogation, les applications actualisées de ces commandements.

Au temps de Jésus, on dénombre environ 6000 pharisiens. Ils forment une espèce de confrérie très attachée, en particulier, à des temps de rencontre autour des repas où les controverses animées sont la norme.

- le repas qui ouvre le sabbat de la pâque juive dont parle notre texte, est l’occasion de grandes festivités pour eux ; même si pour nous, imaginer tous les interdits et les rites liés à ce repas-là ressemble à un inextricable imbroglio ty pe « sac de nœuds »… nos préjugés sont bien là. Pourtant, pour rabbi Eléazar « s’il n’y a pas de farine, il n’y a pas de Torah. S’il n’y a pas de Torah, il n’y a pas de farine »… c’est dire l’importance du repas pour un juif et particulièrement pour un pharisien. Nous voilà donc chez l’un d’entre eux. 

Après un lavage de main, (la main qui va prendre la nourriture dans le plat), on s’assoit pour dire une bénédiction, chacun pour soi à voix basse, puis on s’allonge sur des coussins et des sofas du côté gauche. Alors, un convive dit une bénédiction à haute voix pour tous. Puis, en cercle autour de  la table, on commence à manger.

 

2) préjugés : eh ! oh ! il y a un truc qui cloche là. Dans cette maison où tout, c’est évident, doit être aux normes, cadré, au taquet, où rien d’impur ne doit passer la porte, comment un malade peut-il être là ? Un malade, vous savez, un hydropique, avec des œdèmes partout… capable de contaminer toute la maisonnée et juste à l’entrée du sabbat ! Le pharisien qui accueille Jésus était, peut-être, un pharisien « libéral »… ça existe à son époque ? Car, tous les pharisiens ne sont pas des hypocrites issus d’une race de vipère. Ecoutez ce qui dit, au  IIe siècle une sentence de Rabbi Nathan : « Il y a sept genres de pharisiens : le pharisien aux fières épaules [dont la piété est ostentatoire], le pharisien comptable [calculant les gains et les pertes provenant des préceptes accomplis et des transgressions commises], le pharisien gagnant du temps [prétextant un devoir religieux qui l’attend, pour tarder de donner à manger à ses ouvriers], le pharisien dont la seule affaire est sa propre personne, le pharisien qui dit : quelle obligation m’est imposée pour que j’aille l’accomplir ? Le pharisien de la crainte, comparable à celle de Job, le pharisien de l’amour comparable à celui d’Abraham »[1]

Ainsi, la présence du malade aux symptômes visibles et purulents dans cette maison pharisienne m’interpelle-t-elle dans la perception unique que j’avais des pharisiens. Car, ce pharisien-là est peut-être le pharisien de l’amour comparable à celui d’Abraham ?

Et alors ? Et alors, me voilà rappelée à l’ordre. Chère Joëlle, il t’arrive de mettre dans le même sac toute une catégorie de personnes, ou de poser un commentaire définitif sur un texte comme si d’autres étaient impensables… Jésus,  grâce à Dieu, s’il a honni la classe des pharisiens, savait que tous n’étaient pas coulés dans le même moule. Aurait-il appelé Paul, pharisien de haut vol, sur le chemin de Damas sans en être convaincu ?

En tout cas, dans notre péricope, il va sérieusement titiller les préjugés pharisiens car il tend la main et guérit le malade malgré l’heure déjà avancée dans le jour du sabbat juif. Et cela va  lui permettre de déplacer ses auditeurs ritualistes, et nous, par la même occasion, dans un monde ouvert à une autre compréhension de la pureté qui plait à Dieu ; il utilise, pour ce faire, une technique pharisienne : il pose une question, et il se répond avec une autre question ! Pas de réponse figée, pas de pensée unique, l’attente simplement d’une saine réaction, d’un retour sur soi pour se dégager des idées toutes faites, incrustées dans la pensée communautaire comme une seconde nature… « Lequel de vous, si son fils ou son bœuf tombe dans un puits, ne l’en retirera pas aussitôt, le jour du sabbat « ? »

 

3) et nous ? Quelle humanité dans ces paroles. Jésus se plonge dans le quotidien de ses contemporains pour tourner leurs regards vers leurs propres penchants naturels. D’un premier réflexe, dans cette situation, auraient-ils appliqué la Loi et les préceptes, tout pharisiens qu’ils sont, ou d’instinct, sorti le fils ou le bœuf du puits ? La question de Jésus est, me semble-t-il, un modèle idéal pour  une réponse possible à la chape des préjugés, qui engloutit la vie sous le poids étouffant des réponses toutes faites, jamais remises en question.

 Nous avons pris l’exemple des pharisiens pour éclairer notre réaction, toute humaine, à poser notre lecture des Ecritures dans des cadres bien net ; chaque chose à sa place… Le pharisien chez les hypocrites, le scribe chez les vipères, les prêtres chez les « fait ce que je dit mais, mais surtout, ne fais pas ce que je fais »…. Qu’en est-il de nos certitudes face au texte biblique ? Avez-vous remarqué combien nous sommes influencés par le milieu religieux dans lequel nous vivons ? À fréquenter diverses communautés religieuses dans le cadre de mes activités associatives, je réalise que bien souvent, les personnes qui s’y trouvent se rejoignent dans une pensée presque unique, spécifique à leur communauté, un agglomérat de positions éthiques ou dogmatiques bien peu remis en question et le plus souvent même, accompagné de l’étonnement que les autres croient ou pensent autrement. Et les nommer, c’est déjà dire nos préjugés. Dans notre église, il y a des libéraux, très novateurs, historico-critiques, et des orthodoxes, profondément ancrés dans la dogmatique et la liturgie de nos ancêtres réformés. Ailleurs, il y a les évangélistes et les dons de langue, les baptistes et l’immersion baptismale, les méthodistes et la vertu morale, les adventistes et le sabbat, et mes frères darbytstes qui croient dur comme fer à la création en vrais jours de 24 heures… et chacun d’eux, chacun de nous, avance dans la foi avec ce qui, vu par l’autre côté de la lorgnette, n’est que préjugés, construits lectures après lectures, prédication après prédication,  étude biblique après étude biblique… auprès de « nos » théologiens, les nôtres, ceux de notre Eglise. C’est ainsi que non seulement nos esprits sont formatés en dur, en R et pas en RW, réinscriptibles, hélas, mais aussi que nos relations avec nos frères et sœurs chrétiens d’autres dénominations religieuses sont entachées de retenue et de non-dits…

André Gounelle, sur son site, remet à plat nos prétentions aux certitudes. Il écrit ceci, je cite :  « C’est une histoire qu’on m’a racontée il n’y a pas très longtemps. Un vieux monsieur dit à son petit-fils : « je ne sais vraiment pas quel sens peut bien avoir la vie ». Et le petit-fils de lui répondre : « c’est tout simple, on va aller sur internet le demander à Google. » J’ai consulté Google sur « vérité » et il m’a annoncé quatre millions huit cent dix mille réponses - et je m’en étais prudemment tenu à la francophonie. Le premier site, le seul que j’ai ouvert, me proposait quatre vingt mille citations. »[2] Nous comprenons pourquoi les juifs disent : chaque verset a 70 interprétations plus 1, celle qui n’a pas encore été formulée…

 

Conclusion : Force est donc de reconnaitre, avec humilité, que ce qui pour nous est « vérité », est, le plus souvent, tout simplement, « préjugé ». Dieu merci, nous n’oublions jamais le « semper reformata » énoncé par nos ancêtres et chacun de nous, à son rythme et selon sa personnalité, avance à sa propre allure sur le chemin de cette foi où ses préjugés peuvent être détrônés par une parole différente. Une foi qui grandit…

Mais surtout, je me demande quel regard, le Seigneur, dans son amour pour nous, pose sur nos interprétations labellisées, enclavées dans nos préjugés : un regard impatient du type « « ouvre-toi un peu » ou un regard amusé : ‘il finira par comprendre » ... Ecoutez, en conclusion, cette parole d’un père du désert retranscrite par Antoine Nouis dans son « aujourd’hui de l’Evangile ».

 «  un visiteur vient voir abba Arsène. On envoya un frère pour le conduire car sa cellule était très éloignée. Ils frappèrent à la porte, entrèrent, et ayant salué l’ancien, ils s’assirent en silence. Le frère, celui de l’Eglise, dit alors « moi je m’en vais, priez pour moi ». Mais le visiteur, ne se sentant pas à l’aise devant l’ancien, dit au frère : « je m’en vais, moi aussi ». Et ils sortirent ensemble. L’étranger demanda ensuite à son guide : « Conduis-moi chez abba Moïse, l’ancien brigand ». ils y allèrent, l’ancien les reçut avec joie et les renvoya après les avoir traités cordialement ». Le frère qui avait conduit le visiteur dit alors à celui-ci : « Voici que je t’ai mené chez Arsène et chez Moïse ; lequel des deux préfères-tu ? Il répondit : « Moïse, bien sûr ! ».  L’un des frères, ayant su la chose, fit à Dieu cette prière : « Seigneur, explique-moi cela : l’un fuit les hommes à cause de ton nom, et l’autre les reçoit à bras ouverts à cause de ton nom » Et voici que lui apparurent deux grandes barques sur le fleuve : dans l’une, il vit abba Arsène avec l’Esprit de Dieu, voguant ensemble dans le recueillement ;  sur l’autre, il y avait abba Moïse navigant avec les anges de Dieu qui lui servaient des rayons de miel »[3]… quatre millions huit cent dix mille réponses…, plus une, celle que nous venons de lire… plus une… celle que vous allez construire… plus une… amen.



[1] Avot de Rabbi Nathan A 37; B 45).

[3] Abba, dis moi une parole page 11

Partager cet article
Repost0

commentaires