CARCASSONNE
Dimanche 17 juin 2012
EZECHIEL 17, 22 - 24
MARC 4, 26 - 34
Introduction :Quelques petits versets qui racontent une histoire de graines minuscules. Une bien petite semence qui tient dans le creux de la main. Une histoire agricole ou potagère tout à fait banale. Tout parait si simple dans ces paraboles : « D’elle-même la terre produit du fruit » et « le grain devient un arbre ». Le semeur sème, la semence va pousser jusqu’à la récolte, la petite graine va devenir assez grande pour que son feuillage et ses branches deviennent abri où se poser. Dans les deux cas, les semailles ont une production assurée. Deux paraboles optimistes ; comment les lire ? Daniel Marguerat écrit : « Le texte biblique dépayse, il invite à faire un voyage en soi. Il est comme un gisant, venu du fond des âges que la lecture réveille : ce qu’il dit est à la fois étrange et familier, car il parle de Dieu et de nous, mais pour ouvrir des horizons que l’on n’attendait pas »[1]. Sur terre, l’horizon semble bouché, l’avenir incertain, que peut donc apporter de nouveau le texte biblique ? Il est un contrepoids à l’inquiétude inhérente au cœur de l’homme ou selon une expression très parlante de Félix Mosser, professeur de théologie pratique, il est un antidote à l’inespoir. Car, la semence, dit Jésus tout au début du chapitre 4, c’est la Parole de Dieu. La parole reconstruit un regard neuf sur nos vies et nos questionnements. Là où nous vivons une attente pesante et paralysante, la parole réinvente cette attente pour nous la faire désirer. Là où nous sommes démoralisés par la petitesse de nos capacités face à l’immensité de l’abime sans fond de ce qu’il y a faire, elle proclame que le petit d’aujourd’hui sera demain capable d’être grand. Nous en parlerons ce matin d’abord avec le contexte de notre lecture, puis avec l’attente du semeur revisitée par cette parole et enfin, avec le minuscule grain de moutarde, nous rétablirons à sa juste place la notion de petitesse. Un antidote à l’inespoir ?N’en doutez-pas.
1) contexte, généralités :
Juste avant notre texte, l’évangéliste a placé la parabole du semeur, vous savez, celui qui sème, il faut bien le dire, un peu n’importe où, même dans les cailloux, ou carrément sur le chemin d’à-côté, ce qui a du faire naître quelques sourires de réserve sur la bouche de certains de ses auditeurs ; ceux-là, n’y voyant qu’une histoire champêtre n’ont pas compris que le semeur sème large, que la semence de la parole doit être plantée partout. Et qui plus est, l’on peut envisager qu’une semence puisse se multiplier 30, 60 et même 100 fois… même s’il y a des pertes… Le contexte est donc une invitation à contempler comment la parole croit, se développe, grandit, devient féconde… La parole ensemencée, dissimulée dans la terre de chair où elle est tombée, est vivante ; Jésus nous encourage ici à manifester la foi du laboureur ou celle du jardinier. Sème : la parole poussera et peut-être d’une façon inédite dans un lieu où tu ne l’attendais pas.
Alors pour que nos paraboles restent baume apaisant et structurant pour nos cœurs, nous n’entrerons pas ce matin dans des considérations agronomiques sur la technique de plantation et la façon dont une graine se développe en terre, et nous n’ergoterons pas sur la grandeur ou la hauteur d’un moutardier arrivé à maturité. Là n’est pas l’intention de Jésus. Si erreur botanique il y a, que nous importe. Les paraboles ne sont pas des leçons de science, mais l’affirmation que le règne de Dieu est pour aujourd’hui, ici, dans ma vie, dans la vôtre ; qu’il peut y déposer tous ses dons et toutes ses promesses et que l’attente du semeur n’est pas un temps de vide, inutile et inhabité où tout serait arrêté jusqu’à la récolte ; il devient un temps de disponibilité. La semence enfouie est une dynamique invisible mais en pleine action. Il faut, sans impatience, sans hâte et sans inquiétude attendre qu’elle vienne à maturation.
2) « inespoir » face à l’attente
Ah, l’attente ! Notre XXIe siècle est celui où l’on doit produire vite et beaucoup avec des techniques dites « de pointe » pas si tôt mises au point qu’elles sont déjà dépassées par plus performantes qu’elles : progrès, croissance, développement, expansion sont les mots d’ordre associés à un rythme effréné, (et ce serait encore mieux si on pouvait aller aussi vite que la lumière, n’est-ce pas ? et pourquoi pas plus vite ?…) ; notre siècle est aussi celui de l’anticipation futuriste où l’imagination peut gonfler la pensée jusqu’à l’extravagance. On n’a pas encore terminé un projet que mille autres déjà voient le jour… avec leurs lots d’impatiences, d’inquiétudes, de questionnements, de recherches tout azimut sans compter l’anxiété et la fébrilité que tout cela induit… L’attente pour nos contemporains c’est de l’inutile, de l’inefficace, de l’improductif. Elle devient une espèce de torture de l’esprit. Ils veulent tout, tout de suite, pour eux en premier évidemment et si c’est indispensable, au détriment de tous les autres. L’attente est vécue le plus souvent comme un échec. Envisager d’attendre c’est reconnaître que l’on est un perdant. Il n’en est pas question.
Mais voilà, l’attente suscitée par le Royaume qui ressemble à l’homme qui sème est bien différente. Ici « que l’homme dorme ou soit debout, la nuit et le jour la semence germe et grandit et il ne sait comment ». Dieu travaille de façon cachée, dans le champ où la semence de vie est déposée. Elle est enfouie mais pas étouffée, fragile mais résistante à toutes les intempéries, indépendante de nos pauvres efforts humains. Le Royaume de Dieu est une affaire de mûrissement, de longue maturation. C’est une affaite de patience et d’attente où rien ne dépend plus de l’homme qui a semé ; s’il vient voir la terre, peut-être l’arroser, dessous, ce n’est plus lui le patron. Une attente confiante, patiente et sereine pendant laquelle le semeur vaque paisiblement à ses occupations journalières, et prépare aussi la moisson : il affute les faucilles, il dépoussière les sacs qui vont se remplir, il prépare les silos, il organise l’équipe de moissonneurs mais il pourrait tout aussi bien prendre du repos. Il vit. La parabole baigne tout entière dans un regard tourné vers un avenir plein de promesses cachées. Pas d’horizon bouché, pas de peur du lendemain : un avenir ouvert sur une récolte prévue et qui pourrait bien fructifier au-delà de toute espérance. 30, 60, cent fois plus... Luther fait un résumé saisissant de cette tranquille attente : « Le soir je vais dans ma chambre, je jette les clefs aux pieds de mon Seigneur Dieu en lui disant : Seigneur, c’est ton affaire et non la mienne. La parole doit agir et non pas nous, pauvres pécheurs. Je la veux prêcher, je la veux la dire, je veux l’écrire. Mais seule la Parole doit œuvrer et elle le fait quand je dors et quand je bois de la bière avec mes amis. (…)»
3) le petit qui ne voit rien grandir : de l’inespoir à l’espérance
Quant au grain de moutarde… Le Royaume de Dieu y est comparé à une minuscule semence. D’un commencement insignifiant surgit au temps de la floraison, un arbre, certes, pas un cèdre immense comme ceux devant lesquels nous nous extasions parfois en levant la tête au risque du torticolis, mais un arbre, assez grand cependant pour en être étonnant si l’on se remémore la minuscule graine qu’on pouvait tenir entre deux doigts. Un arbre qui n’étend pas ses branches jusqu’au bout du monde, même s’il est plus grand que les plantes potagères du jardin. Et qui plus est, c’est un arbre hospitalier. La Parole n’est-elle pas accueil ? Semée minuscule dans le cœur de l’homme, ses premiers pas y sont invisibles et elle se développe même à l’insu de celui qui la porte. Elle grandit, prend forme, ses ramifications s’élargissent pour devenir lieu de vie. Dans le jardin du monde, de notre monde où tant de graines ont produit des erreurs de la nature mortifères, où tant de plantes et d’arbres dépérissent sans espoir de guérison, comment ne pas s’émerveiller de cet arbre accueillant d’où jaillissent les chants des oiseaux qui s’y sont posés ? Je vous laisse le soin de nommer ces oiseaux et leurs chants, chacun selon sa vue et son oreille, chacun en son époque. Le moutardier de notre parabole c’est celui de l’espérance, perspective pas encore et pourtant déjà là du Royaume de Dieu en action, antidote à l’inespoir.
3) notre rôle :
C’est ainsi que les paraboles ouvrent pour nous des horizons nouveaux. Nous qui sommes souvent dans l’action à tout va, ou dans le découragement face à l’ampleur de la tâche à accomplir, il est rare que nous vivions sereinement les heures de nos vies. Il y a tant à faire ! Tant de pauvres, tant de malades, tant d’étrangers, tant de prisonniers, tant de lieux où Jésus est et où nous voudrions le rejoindre.
Alors voilà l’inédit pour nous : Il faut juste accueillir la semence dans la terre de notre cœur et aussi, c’est selon, mettre la semence ou le grain en terre, dans NOTRE champ ou NOTRE jardin. C’est là notre part de travail : soit être terre fructifère, soit semer, semer sans retenir la main ou le bras tout autour de nous puis entrer dans le repos de Dieu. La semence va pousser et grandir hors de nous ou en nous. Cela ne nous exempte en rien de travailler, Luther en est un exemple remarquable. Car dans sa vie il n’a pas fait que dormir et boire de la bière… Dans ces deux paraboles, seule la croissance est envisagée ; tous les aléas envisageables sont occultés. Le lecteur est juste invité à regarder le Royaume de Dieu grandir, à contempler l’accomplissement de la promesse depuis ses petits commencements. Et à prendre sa part dans ce royaume, chacun, tel qu’il est, avec ce qu’il est. Une histoire dans notre vie de semailles et de semence. Après, Dieu prend la relève. Dieu merci, oserais-je dire !
Conclusion :
En conclusion, écoutons la courte méditation qu’Henri Lindegaard a écrit sur la parabole du grain de blé. Elle est intitulée :
Tombé à terre.
Il faut que le grain tombe
Se laisse couvrir de terre
S’enfonce dans l’obscurité.
Ce qui se produit alors est merveilleux :
Craquent les écorces,
Craque le terrain,
Et apparait la double spirale de la vie.
Un double mouvement,
Vers le haut et vers le bas,
Vers l’aventure et vers l’approfondissement.
Aventure vers le haut :
Deux feuilles comme deux mains ouvertes pour prier.
Approfondissement :
Des racines qui s’enfoncent dans les couches horizontales.
Il faut la louange et la présence au monde.
C’est la racine qui alimente la feuille,
Et c’est la feuille qui permet à la racine de respirer.
(Jean 12)
[1] Daniel Marguerat « J’habiterai chez toi »