Narbonne
DIMANCHE 15 AOUT 2010
APOCALYPSE 11, 19 . 12, 1 - 10
1 CORINTHIENS 15, 20 - 27
LUC 1, 39 - 56
Introduction : Au Nigeria, une toute jeune femme enceinte est enterrée jusqu’au cou puis lapidée à mort, dans un pays proche de la France, une autre est assassinée d’un coup de couteau bien placé, à Narbonne même, un médecin appelle pudiquement « appendicectomie » l’avortement que subi une jeune femme qui préfèrerait mettre fin à ses jours plutôt que d’avouer à ses parents qu’elle est enceinte… y penser me donne envie, veuillez excuser la vulgarité, de rentrer dans le lard de tout ce qui bouge. Alors, je vous le déclare tout net, je suis remplie d’admiration, et s’il est possible pour un protestant d’utiliser ce terme à propos de Marie, je suis béate d’admiration devant l’incroyable courage de cette toute jeune fille dans un monde comme celui où elle vivait il y a un peu plus de deux mille ans. Dès son premier « oui », à bien des égards, sa vie rejoint notre vie. C’est pourquoi, aujourd’hui, je vous propose de voyager dans son monde, dans sa vie et nous essayerons de revenir de ce voyage enrichis de son expérience.
1) le monde où vivait Marie : le monde juif n’était pas tendre pour la femme même si elle y avait une place bien précise.
- des rabbins enseignaient : « Loué soit celui, qui ne m'a pas créé païen; loué soit celui qui ne m'a pas créé femme, loué soit celui qui ne m'a pas créé esclave ». Mais je pense que cet enseignement n’était pas spécifique au monde juif ; il avait cours dans tout le monde moyen-oriental, car Marie est une femme orientale, tenue en bride dans tous les aspects de sa vie par des règles auxquelles elle ne pouvait déroger sous peine de mort.
- sur le plan social, la place de la femme est « à la maison » derrière ses fourneaux et sa quenouille car selon l’expression consacrée pour la femme mariée, elle a été « acquise par contrat, par argent et par rapports sexuels ». La jeune fille, comme Marie, est l’esclave de son père, soumise à sa volonté dans tous les domaines. Autant dire que l’éducation des filles ne leur donne aucune chance d’être un jour capables de penser par elles-mêmes, et de prendre des décisions fut-ce minimes, dans leur quotidien. Toute velléité d’insubordination peut être étouffée dans l’œuf et d’ailleurs, quelle jeune fille oserait seulement imaginer qu’elle peut décider de sa vie ?
- sur le plan religieux, c’est encore pire ! l’éducation religieuse n’est obligatoire que pour les garçons, l’intérieur du temple est interdit à la femme, dans les synagogues, on la confine derrière des barrières, elle n’est là que pour écouter, et à la maison elle n’a pas le droit de prononcer la bénédiction au repas, cela le rendrait impur.
- il y a, aussi, toutes sortes de légendes, de superstitions, de sombres histoires d’esprits, de démons, comme en connaissent toutes les populations de l’époque.
- et il y les soldats romains, les mercenaires, les brigands, toujours prêts à prendre tout ce qui leur tombe sous la main, jeunes filles y compris. Sortir seule, ce serait passer outre aux règles mais qui plus est, risquer le pire.
Voilà le monde de Marie, un monde sombre et hostile où la nature, si belle en Galilée pourtant, avec ses horizons verdoyants et ses vergers, est, elle aussi dangereuse : animaux sauvages (Michel nous a parlé des lions, dimanche dernier), bandits, voleurs, tueurs….
2) Marie : un parcours exceptionnel : Marie vit dans ce monde là. Entrons dans sa vie. Nous pourrions intituler ce qui va suivre : « Marie, un parcours de disciple ». Car depuis le premier « oui » jusqu’à la Pentecôte, n’est-ce pas une vie de disciple qu’elle va vivre, dès l’instant où l’enfant vit en elle ?
- Marie est avant tout une jeune fille juive élevée, sans nul doute, dans la tradition ; et, pour une jeune fille juive, elle a une étonnante réaction ; l’annonce de la naissance d’un enfant dont son fiancé ne sera pas le père la conduit tout droit à la louange ! « Je magnifie le Seigneur, je suis transportée d’allégresse en Dieu, mon Sauveur, parce qu’il a porté les regards sur l’abaissement de son esclave. » dit-elle à sa cousine. Elle risquait pourtant la lapidation malgré l’interdiction imposée par les romains ; mais qu’est-ce que la vie d’une femme juive pour la justice romaine ? Pourtant elle dit « oui ». Comme les premiers hommes appelés par Jésus, elle n’a probablement pas évalué l’ampleur de ce qui l’attend. Le Seigneur l’appelle ; elle dit « oui ». Elle décide même d’aller chez sa cousine Elisabeth. Et je vous prie de croire qu’un voyage dans la campagne autour de Nazareth, puis dans la montagne pour aller en Judée n’était pas une mince affaire. Nous ne savons pas si elle est partie seule, ou si elle a rejoint un groupe de voyageurs. En tout cas, elle a décidé de prendre d’énormes risques, de faire d’intenses efforts : elle n’avait pas le matériel hypersophistiqué dont dispose les randonneurs d’aujourd'hui pour aborder les contreforts montagneux qu’elle doit traverser. Et pas même un parapluie pour s’abriter des intempéries. Mais elle y va.
- Chez Elisabeth nous sommes encore étonnés. Car sa cousine ne va pas la montrer du doigt, lui faire la leçon, ou immédiatement soupçonner le pire. Peut-être, le Seigneur a-t-il choisi une famille à part, où l’on avait des réactions peu ordinaires face à l’extraordinaire ? Même le fiancé choisit par son père, Joseph, semble, lui aussi, sortir du lot, le lot de tous ceux qui vivaient la foi comme une tradition et non comme une rencontre. Pour les membres de cette famille, l’Esprit Saint a pu pénétrer les cœurs, ouvrir le chemin de l’obéissance et de la louange. Luc nous parle de leurs réactions dans la rencontre avec leur Seigneur, sans s’attarder sur la vie personnelle de chacun d’eux. Et tout ce que nous savons de cette famille est malheureusement consigné dans ce que nous appelons des « apocryphes » où avec force détails, la vie des parents de Marie, de Joseph ou d’Elisabeth touche plus au merveilleux qu’à la réalité. Mais c’est leur rencontre avec Dieu qui nous importe, n’est-ce pas ?
- la vie de Marie, jeune fille juive, c’est aussi un parcours de disciple : acceptation, doutes, refus, souffrances puis baptême dans l’Esprit le jour de la Pentecôte, une vie de disciple.
Un disciple dont la foi est palpable, le jour des noces de Cana par exemple. Nous ne saurons jamais comment elle a pressenti ce que son fils pouvait faire. Avait-elle déjà assisté à de l’extraordinaire de sa part ? Bien sûr, elle ne peut pas avoir oublié ce qu’elle a vécu jeune fille, elle a médité ce qu’elle vivait avec son fils ; « elle gardait toutes ces choses dans son cœur » nous disent les Ecritures.
Un disciple qui doute aussi quand, avec les frères et sœurs de Jésus, elle le cherche pour faire obstacle à son ministère.
Un disciple qui souffre au pied de la croix et là, le disciple, c’est aussi la mère, dont le cœur est transpercé.
Un disciple baptisé dans l’Esprit saint le jour de la Pentecôte : dans la chambre haute, « tous persévéraient d’un commun accord dans la prière avec les femmes et Marie mère de Jésus » lisons-nous dans le livre des Actes avant que nous soit relaté le récit de l’effusion de l’Esprit saint.
A bien des égards chacun de nous vit ce qu’elle a vécu que ce soit dans notre vie d’humain ou dans notre vie de disciples. L’expérience que relate Luc c’est celle d’une rencontre avec Dieu. Dieu s’est fait si proche d’elle qu’il est venu habiter en elle. N’est-il pas donné à beaucoup de croyants de faire avec Dieu une telle rencontre ?
3) son expérience, notre expérience : Alors son expérience peut devenir notre expérience.
- « Dieu a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante » dit Marie. Les limites de sa vie, de ce qu’elle est, n’ont pas été un obstacle au regard de Dieu. Il tourne aussi vers nous son regard qui va en profondeur, non pour nous scruter mais pour nous sauver. « Il nous voit tels qu’il pourrait nous ressusciter »[1] dit Jean Claude Robert. Dieu peut venir nous rencontrer même quand nous avons l’impression d’être insignifiants ou anonymes et nous proposer un possible qui nous semblait impossible. Notre faiblesse peut devenir force et louange, émerveillement et joie.
- « Mon âme exalte le Seigneur et se réjouit en Dieu mon sauveur » dit-elle. Pour Marie, Dieu a pris corps en elle pour devenir le Messie ; en nous, il prend corps aussi, il ne s’incarne pas, mais il est présent et nous lui disons « oui ». Nous entrons alors, nous aussi, dans un itinéraire semblable à celui de Marie. Un itinéraire de foi, de confiance et de louange. Avec elle, nous devenons un maillon de l’immense chaîne de témoins qui a commencé le jour où Abraham a entendu l’appel de Dieu et qui s’achèvera un jour que[2] nous ne savons pas. Et notre expérience spirituelle ne nous dispense pas de partager celles que d’autres ont fait avant nous depuis des siècles, voire des millénaires. Elle ne nous dispense pas davantage de partager celle que vit notre contemporain, notre frère, notre sœur. Marie, elle aussi, va partager son expérience.
- « elle s’en alla en hâte dans les montagnes de Juda ». Marie ne s’est pas laissée bercer par l’expérience qu’elle venait de vivre. Elle a retroussé sa robe (l’expression est peut être un peu trop en avance sur le temps de Marie ?) et s’est engagée sur un chemin difficile, un chemin de montagne pour partager sa joie et recevoir aussi celle de sa cousine Elisabeth. N’est-ce pas aussi ce que nous sommes appelés à faire ? Nous déplacer, sortir de chez nous, rompre avec nos habitudes, nous exposer ?
Conclusion : Luc nous a présenté Marie comme le type même du fidèle qui accepte de tout recevoir de Dieu et qui accueille sa venue avec tous les bouleversements que cela peut entraîner. Marie a accepté de rentrer dans le projet de Dieu. Et nous ? y trouverons-nous notre place ? Paul dans l’épître aux Corinthiens parle de ceux qui forment une longue chaîne de témoins, chacun dans son temps et sa place, avant et après Marie. Ils ont dit « oui ». Je sais que toi aussi, mon frère, ma sœur, tu dis « oui ». Alors Magnificat sur nos vies, sur ma vie, sur ta vie, parce que Dieu a trouvé en toi un partenaire ; il s’engage pour toi et c’est ton oui qu’il attendait, c’est ta louange qu’il se réjouit d’entendre. Puisse sa Parole prendre corps en toi et t’accompagner tout au long de tes jours. Amen.