Collioure
DIMANCHE 4 avril 2011
1 SAMUEL 16, 1 – 13
JEAN 9, 1 – 41
Narbonne le 10 avril 2011 : Perpignan le 31 juillet 2011
Introduction : Un regard … un regard humain… celui de Samuel, celui des pharisiens, celui des parents de l’aveugle… le nôtre… nos lectures, ce matin, jettent le feu des projecteurs sur la façon dont nous regardons nos semblables et les situations que nous vivons. Un regard jamais vierge, un regard toujours empreint de notre vécu, un regard à prisme.
Nous parlerons d’abord de celui que Samuel porta dans une situation exceptionnelle : le choix d’un roi.
Nous accompagnerons ensuite les contemporains de Jésus : pharisiens imbus de leur savoir rabbinique, juifs aveuglés par l’enseignement des pharisiens, familles plombées par le handicap d’un fils dont le regard est forcément faussé.
Nous terminerons avec le regard de celui qui propose la lumière, celle qui éclaire et peut ouvrir à une vision renouvelée sur toute notre vie.
1) Samuel,
- le contexte du récit : Nous avons lu, dans le livre de Samuel un récit dont la rédaction pourrait, à elle seule, occuper notre matinée. Les découvertes récentes, l’analyse historico-critique ont ouvert, sur le 1er Testament en particulier, un horizon de lecture, inconnu il y a encore quelques décades. En parler nécessiterait un cycle complet de conférences. Et un spécialise comme Thomas Röhmer par exemple pour le présider. Ce matin, nous accompagnerons simplement Samuel, le prophète, qui voit et pense comme un homme, l’homme qui nous ressemble, jusqu’à ce qu’il se laisse prendre par le regard que Dieu pose sur son monde.
- Samuel le voyant : faisons un voyage dans l’espace et le temps pour nous poser à l’époque des Juges sur la terre d’Israël. Selon les périodes, bonnes ou mauvaises, des juges apparaissent et disparaissent du paysage politico-social pour régler les questions épineuses. Samuel rentre dans cette lignée de Juges. Qui ne connait l’histoire de sa naissance miraculeuse, et celle de son élection très jeune pour servir Dieu ? Samuel devient le juge, le conducteur et même le sauveur du peuple dans sa guerre contre les Philistins en intercédant pour lui. Sa notoriété a grandi au fil des années au point qu’il est chargé de désigner le roi que veut à tout prix Israël, malgré les avertissements que Dieu place dans sa bouche. Ce sera Saül. C’est un roi que les Ecritures nous décrivent comme un homme à la conduite honteuse aux yeux de Dieu. Le Seigneur finit par envoyer Samuel pour oindre son successeur. Nous voilà en plein dans notre lecture.
- Samuel face au futur roi : Samuel, juge et conducteur du peuple a vieilli, il a subi des échecs, sa vie n’a pas été un long fleuve tranquille. Mais il a la responsabilité de désigner le futur roi, malgré l’échec du premier.
Il vient, avec des certitudes qui seront balayées en 3 coups de cuillères à pot. Eliab, Abinadab, Schammah et les autres fils d’Isaï vers qui Dieu a envoyé Samuel passent devant lui ; et, en les regardant, Samuel pense : « c’est celui-ci » : il regarde l’homme, la prestance, l’aisance, le guerrier… bref, tout ce qui, de son temps, faisait sortir un homme de l’ordinaire. Samuel, c’est un homme, qui comme tous les humains, regarde à l’apparence des choses, un regard conditionné par les circonstances, par la personnalité de celui qui le porte, par ce qu’il voit à travers sa propre vie ; chacun de nous voit à travers le prisme de ce qu’il est, et Samuel n’échappe pas à la règle. Il regarde les hommes qui défilent devant lui avec le même regard que ses contemporains. Mais Dieu lui dit : « L’Eternel ne considère pas ce que l’homme considère ; l’homme regarde à ce qui frappe les yeux, mais l’Eternel regarde au cœur.» Samuel est aussi un homme humble, qui essaie de se laisser guider par le regard de Dieu. Il finira par désigner, David, le « petit », comme son père l’appelle ; on pourrait traduire l’hébreu par « l’insignifiant », le « sans importance », le « faible ». Si invisible que son père l’avait carrément oublié dans la liste de ses fils ! Nous savons tous qui fut David, un grand roi, et aussi un homme, avec ses faiblesses ; il posa, à son tour, parfois, un regard sur les évènements qui n’était pas celui de Dieu : sur la femme d’Uri qu’il regardât comme sienne, sur la maison de Dieu dont il se voyait le bâtisseur… un regard à prisme, comme le nôtre.
2) des regards divergents : Changeons d’époque. Nous avons lu dans l’Evangile une histoire de regards, multiples : « Jésus vit, en passant, un homme aveugle de naissance »… Jésus voit quelqu’un qui ne peut pas le voir. Et l’histoire continue avec d’autres personnages mal voyant si l’on peut dire :
- les pharisiens, à travers le prisme rigide de l’enseignement rabbinique, ne voient qu’un arbre qui cache la forêt : une guérison interdite un jour de sabbat. C’est vrai, après tout, la vie de cet homme n’était pas en danger, il ne pouvait donc y avoir dérogation. Cette guérison aurait très bien pu attendre un jour…Les pharisiens ne voient pas, derrière cet arbre là, la forêt de compassion qui submerge Jésus, et aussi la forêt des motivations que l’Esprit insuffle en lui : « Il faut que je fasse, tandis qu’il est jour, les œuvres de celui qui m’a envoyé ; la nuit vient, où personne ne peut travailler » dit-il.
- dans notre récit, après les pharisiens, les juifs, refusent eux, de voir la souffrance de l’aveugle de naissance : est-il vrai qu’il est né ainsi ? Qui peut en témoigner ? Pourtant, ne voyaient-ils pas, jour après jour, l’aveugle tendant la main pour quelques piécettes, probablement au même endroit depuis des années ? Mais est-ce celui-là ou en est-ce un autre ?
- nous pourrions aussi parler, du regard du rédacteur de l’Evangile : ils distinguent les pharisiens du groupe collectif des juifs. Il faut dire qu’à l’époque où il écrit, après la destruction du temple et de Jérusalem en 70 de notre ère, ce sont les pharisiens qui ont repris la gouvernance religieuse du peuple juif. Il n’y a plus de sacrifices, ni de prêtres et le culte est tout entier axé sur la famille et le regroupement des familles autour des synagogues sous la direction des pharisiens. Mais voilà, ces rabbins pharisiens ont chassé les chrétiens de leurs synagogues et l’amertume est grande, côté chrétien, à leur encontre. Nous le ressentons sous la plume de celui que l’Evangile appelle Jean. Cela pourrait expliquer la séparation qu’il fait dans notre récit entre pharisiens et juifs. Un regard que nous ne devons pas oublier quand nous lisons les Ecritures, celui du rédacteur, car il passe, lui aussi, à travers un prisme.
- reprenons le cours du récit : après le regard de Jésus, des pharisiens et des juifs, celui des parents de l’aveugle : ils ont un regard voilé, affaibli par la peur de ce qui pourrait leur arriver. Le miracle qui touche leur fils, qui les touche, eux, dont personne ne pourra plus dire qu’ils ont péché et que la cécité de leur fils est leur punition, le bouleversement que cette guérison apporte dans leur maisonnée, ils le voient bien mais je dirais qu’ils voient double : superposé à leur fils guéri, ils voient aussi les pharisiens et « les juifs » se lever contre eux et leur en faire baver des ronds de chapeau. Tous ces personnages ont un regard à prisme qui déforme leur vision et la déplace.
3) la lumière. Chaque humain est un mal voyant, parfois aveugle de naissance, par exemple, né dans une famille athée ou agnostique... Il voit peu, mal, ou pas du tout, là où sa vie le conduit, ceux et celles dont il croise le chemin : regard altéré, regard conditionné, regard faussé par un schéma psychologique, une éducation, des conditions de vie… un regard à prisme.
Savez-vous comment les écritures surnomment les prophètes ? « Le voyant », et Samuel lui-même se donnera ce surnom : « c’est moi qui suis le voyant » lit-on en 1 Samuel chapitre 9. Voilà où le bât blesse, pour lui, mais aussi pour chacun de nous. « C’est moi qui suis le voyant »… moi, le voyant…
Certes, Samuel a souvent « vu » pour son peuple, mais dans l’épisode que nous avons lu, on peut dire qu’il n’y voyait pas grand-chose, pas plus que les pharisiens et les juifs qui côtoyaient Jésus. La vie, leur vie les a rendus mal voyant, si ce n’est aveugles. « ils voient mais ne voient pas » dit Jésus. Combien de fois dans notre propre vie ….
Conclusion : Alors, nous pourrions être découragés, à cause de ce que nous sommes : des humains au regard toujours habité par ce que nous avons été. Sommes-nous Samuel, sommes-nous pharisiens, sommes-nous juifs, sommes-nous apeurés par ceux qui ont le pouvoir ? Comment le Seigneur, lui, nous voit-il ?
Ecoutez cette histoire :
« On demande un jour à un sage :
-Tu as de nombreux enfants, quel est ton préféré ?
l’homme répond :
celui de mes enfants que je préfère :
c’est le plus petit, jusqu’à ce qu’il grandisse.
C’est celui est loin, jusqu’à ce qu’il revienne.
C’est celui qui est malade, jusqu’à ce qu’il guérisse.
C’est celui qui est prisonnier, jusqu’à ce qu’il soit libéré.
C’est celui qui est éprouvé, jusqu’à ce qu’il soit consolé.»
Nous pourrions terminer l’histoire ainsi
Celui que je préfère, dit Dieu,
C’est celui qui est mal-voyant, jusqu’à ce qu'il soit guéri.
C’est celui qui est aveugle, jusqu’à ce qu’il voit.
N’est-il pas écrit :
« je suis venu pour que ceux qui ne voient pas, voient. »
Amen.